La pomme de terre

Originaire de la cordillère des Andes, la pomme de terre est rapportée en Europe au XVIe siècle, où elle devient un moyen de lutte contre la famine. Facile à produire, résistante au froid et d’un rendement élevé, elle est encore aujourd’hui un élément essentiel de l’alimentation humaine.

Solanum tuberosum est une plante appartenant à la famille des Solanacées et du genre Solanum, groupe dans lequel on retrouve d’autres espèces alimentaires telles que la tomate ou l’aubergine. Elle peut atteindre 1 mètre de hauteur et présente des fleurs variant du blanc au violet foncé, avec en leur centre des étamines jaunes. Les fruits de Solanum sont des baies poussant en grappes, de couleur verte ou jaunâtre, impropres à la consommation. Comme le reste de la plante, ils contiennent en effet de la solanine, substance toxique pouvant entrainer des maux de tête et des troubles gastro-intestinaux.

Gravure détaillée en couleur d'un plant de pomme de terre, avec ses feuilles et ses fleurs rose pâle
Maurice Pillard Verneuil, Encyclopédie artistique et documentaire de la plante, 1904-1908 

La pomme de terre elle-même est le tubercule de la plante. Il s’agit d’un organe de réserve dans lequel elle stocke des nutriments sous la forme d’amidon pour survivre à la sécheresse ou au froid. Bien qu’il se développe sous terre, ce n’est pas une racine mais l’extrémité charnue d’une tige. Des bourgeons sont présents à sa surface, dans de petites cavités appelées « yeux ». De là croissent des nouvelles tiges, y compris si le tubercule est hors-sol, la plante utilisant la réserve d’amidon pour se développer. La peau du tubercule est généralement jaune, mais peut-être rouge, rosée ou noire selon les variétés.

Gravure annotée d'un plant de pomme de terre, présentant les différentes parties de la plante
Léopold Malpeaux, Les plante sarclées : pomme de terre, betterave, carotte, etc. (3e édition revue), 1912

Solanum se plante au printemps, après les dernières gelées, généralement avec un tubercule plutôt qu'une graine. La récolte se fait à l'automne ou dès l'été pour les pommes de terre de primeur, arrachées avant la maturation des tubercules. La production agricole française en 2023 était estimée à 8.6 millions de tonnes.

Gravure en couleur représentant trois pommes de terre, orange, violette et jaune, avec deux esquisses sur la droites
Henri-Joseph Redouté, [Fruits, légumes, champignons et fleurs], 1817-1840

 

Origine américaine et diffusion en Europe

Les Amérindiens des Andes sont les premiers à domestiquer la plante et à en faire un élément essentiel de leur alimentation. La culture se développe d’abord dans les zones côtières du Pérou vers le VIIIe millénaire av. J.-C., puis dans la région de l’Altiplano, aux alentours du lac Titicaca. Les cultivateurs y pratiquent une sélection favorisant les tubercules les plus charnus et contenant moins de Solanine. L’importance de la plante pour cette population est visible au travers de nombreuses pratiques culturelles : plantations rituelles, culte à Axomama, déesse de la pomme de terre, poteries thématiques.

Gravure du 17e siècle représentant des plantes découvertes en Amérique. On distingue un ananas, un plant de pomme de terre et une racine semblable à un radis. Les fruits, les fleurs et les tubercules de la pomme de terre sont dessinés en détail en haut à droite de la gravure.
Honorius Philiponus, [Artiste non identifié], [Illustrations de Nova typis transact navigatio..], 1621

Les conquistadors espagnols découvrent la pomme de terre en 1532, lors de la conquête de l’empire Inca. Les écrivains faisant la description du « Nouveau Monde » comme le missionnaire José de Acosta mentionnent cette sorte de racine que les Amérindiens nomment papa :

"Toutefois le défaut du pain y est recompensé par les racines qu’ils sement, lesquelles ils appellent Papas, & y croissent dedans la terre. Cette racine est le manger des indiens car les sechans & nettoyans ils en font ce qu’ils appellent Chugno qui est le pain & nourritures de ces provinces"

Les papas arrivent en Europe à la fin du XVIe siècle en Espagne mais également dans les îles Britanniques depuis la colonie de Virginie. Leur culture dans la péninsule ibérique est d’abord limitée aux jardins botaniques et on leur attribue des propriétés médicinales. Le roi d'Espagne Philippe II en aurait envoyé plusieurs plants au pape Pie IV, souffrant alors de la malaria. Le tubercule aurait été rebaptisé patata afin de ne pas froisser le pontife (papa en espagnol).

Le botaniste flamand Charles de l’Ecluse, dit Clusius, est le premier à faire une description scientifique de la pomme de terre en 1601 dans son ouvrage Histoire des plantes rares. Son travail se base alors sur des plants, ainsi que sur une aquarelle, envoyés en 1588 par le gouverneur de Mons, Philippe de Sivry.

Dessin en couleur d'un plant de pomme de terre, incluant les fleurs, les fruits et deux tubercules. A droite, une note manuscrite indique qu'il a été envoyé par Philippe de Sivry en 1588.
Ernest Roze, Histoire de la pomme de terre : traitée aux points de vue historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire, 1898

La culture de la pomme de terre à des fins alimentaires ne se développe véritablement qu’au siècle suivant, en particulier dans les pays d’Europe centrale et du Nord grâce à sa résistance au froid et ses bons rendements. Elle apparaît comme un substitut au blé dans un continent alors marqué par les guerres et les famines.

Au XIXᵉ siècle, la pomme de terre connaît un essor décisif, devenant un aliment de base pour une majeure partie de la population. Cultivée massivement pour sa productivité et sa capacité à nourrir à bas coût, elle s’impose dans les campagnes comme en milieu urbain, en particulier pour la classe ouvrière. Pour les artistes de l'époque, le tubercule incarne alors le travail quotidien, la pauvreté et la vie rurale. Il est le sujet de La récolte des pommes de terre et de L'Angélus de Millet ou encore des Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh.

Estampe représentant le tableau Les mangeurs de pommes de terre de Van Gogh, avec 5 paysans assis autour d'une table, mangeant des pommes de terre
Vincent Van Gogh, [Les mangeurs de pommes de terre], 1885

Un développement plus tardif en France

Le tubercule américain est introduit en France vers la fin du XVIe siècle dans le Dauphiné et en Franche-Comté. L’agronome Oliver de Serres en fait la description dans son ouvrage Théâtre d’agriculturele nommant « cartoufle », le rapprochant de la truffe, autre plante poussant sous terre. L'origine de l'expression "pomme de terre" est confuse, servant d'abord à désigner les plantes à bulbes. 

La papa américaine aurait été perçue avec méfiance par la population, associée au mal et à l’Enfer en raison de sa croissance souterraine et de sa ressemblance avec d’autres plantes toxiques (belladone, datura). Cette vision semble cependant avoir été exagérée par les écrivains des siècles suivants. La faible culture de la pomme de terre serait davantage liée à la mauvaise qualité des premières variétés européennes et des tubercules fades, indigestes ou encore trop chargés en solanine. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour qu’elle connaisse un regain d’intérêt auprès des agronomes et des naturalistes, qui s’interrogent alors sur les moyens de lutte contre la famine.

En 1771, l’Académie de Besançon organise un concours sur le sujet "des substances alimentaires qui pourraient atténuer les calamités d’une disette". Antoine Augustin Parmentier, apothicaire, propose un mémoire où il indique que l’amidon de retrouve dans de nombreuses plantes et notamment la pomme de terre. Il se base sur son expérience de prisonnier durant la guerre de Sept ans, au cours de laquelle il a pu constater les qualités nutritives du tubercule. Après avoir remporté le prix, Parmentier poursuit ses travaux sur le sujet, lui valant une renommée nationale.

Portrait gravé d'Antoine Parmentier, entouré de plants de pommes de terre, titré "Un parvenu sans reproche"
Edmond Morin, Collection Jaquet. La Gravure sur bois. Collection de gravures extraites de périodiques et de journaux illustrés du XIXe siècle, 1850-1880

Ce rôle "d'inventeur de la pomme de terre" est cependant à nuancer. Au milieu du XVIIIe siècle, la culture et la consommation du tubercule sont déjà bien présentes en France, comme le note l’agronome de Comble dans son ouvrage L'école du jardin potager en 1749 :

"Ce n’est pas seulement le bas peuple & les gens de la campagne qui en vivent dans la plupart de nos Provinces, ce sont même les plus aisées des villes, & je peux avancer de plus par la connoissance que j’en ai, que beaucoup de gens l’aiment par passion"

Par ailleurs, le stratagème de Parmentier de limiter la garde des plants des plaines des Sablons pour inciter au vol et donc à la diffusion des tubercules relève davantage de la légende. Les lettres de l’agronome indiquent plutôt que ce dernier est inquiet et que les larcins nuisent à ses expériences.

Comme dans le reste de l’Europe, la production et la consommation de pomme de terre se développe au XIXe siècle. De nouvelles variétés sont créées par sélection, plus adaptées aux environnements européens et possédants des tubercules à forme plus régulière. Elle gagne sa place sur les tables des ouvriers comme sur celles des bourgeois et des grands restaurants.

Couverture du numéro de la revue Papilles consacré à la pomme de terre, avec en illustration centrale un dessin en couleur de plusieurs patates. Le dessin est découpé en six carrés, mélangées dans un cadre
Association des bibliothèques gourmandes, Papilles, N°45, juillet 2016

 

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