La pomme de terre
Originaire de la cordillère des Andes, la pomme de terre est rapportée en Europe au XVIe siècle, où elle devient un moyen de lutte contre la famine. Facile à produire, résistante au froid et d’un rendement élevé, elle est encore aujourd’hui un élément essentiel de l’alimentation humaine.
Solanum tuberosum est une plante appartenant à la famille des Solanacées et du genre Solanum, groupe dans lequel on retrouve d’autres espèces alimentaires telles que la tomate ou l’aubergine. Elle peut atteindre 1 mètre de hauteur et présente des fleurs variant du blanc au violet foncé, avec en leur centre des étamines jaunes. Les fruits de Solanum sont des baies poussant en grappes, de couleur verte ou jaunâtre, impropres à la consommation. Comme le reste de la plante, ils contiennent en effet de la solanine, substance toxique pouvant entrainer des maux de tête et des troubles gastro-intestinaux.

La pomme de terre elle-même est le tubercule de la plante. Il s’agit d’un organe de réserve dans lequel elle stocke des nutriments sous la forme d’amidon pour survivre à la sécheresse ou au froid. Bien qu’il se développe sous terre, ce n’est pas une racine mais l’extrémité charnue d’une tige. Des bourgeons sont présents à sa surface, dans de petites cavités appelées « yeux ». De là croissent des nouvelles tiges, y compris si le tubercule est hors-sol, la plante utilisant la réserve d’amidon pour se développer. La peau du tubercule est généralement jaune, mais peut-être rouge, rosée ou noire selon les variétés.

Solanum se plante au printemps, après les dernières gelées, généralement avec un tubercule plutôt qu'une graine. La récolte se fait à l'automne ou dès l'été pour les pommes de terre de primeur, arrachées avant la maturation des tubercules. La production agricole française en 2023 était estimée à 8.6 millions de tonnes.

Origine américaine et diffusion en Europe
Les Amérindiens des Andes sont les premiers à domestiquer la plante et à en faire un élément essentiel de leur alimentation. La culture se développe d’abord dans les zones côtières du Pérou vers le VIIIe millénaire av. J.-C., puis dans la région de l’Altiplano, aux alentours du lac Titicaca. Les cultivateurs y pratiquent une sélection favorisant les tubercules les plus charnus et contenant moins de Solanine. L’importance de la plante pour cette population est visible au travers de nombreuses pratiques culturelles : plantations rituelles, culte à Axomama, déesse de la pomme de terre, poteries thématiques.

Les conquistadors espagnols découvrent la pomme de terre en 1532, lors de la conquête de l’empire Inca. Les écrivains faisant la description du « Nouveau Monde » comme le missionnaire José de Acosta mentionnent cette sorte de racine que les Amérindiens nomment papa :
"Toutefois le défaut du pain y est recompensé par les racines qu’ils sement, lesquelles ils appellent Papas, & y croissent dedans la terre. Cette racine est le manger des indiens car les sechans & nettoyans ils en font ce qu’ils appellent Chugno qui est le pain & nourritures de ces provinces"
Le botaniste flamand Charles de l’Ecluse, dit Clusius, est le premier à faire une description scientifique de la pomme de terre en 1601 dans son ouvrage Histoire des plantes rares. Son travail se base alors sur des plants, ainsi que sur une aquarelle, envoyés en 1588 par le gouverneur de Mons, Philippe de Sivry.

La culture de la pomme de terre à des fins alimentaires ne se développe véritablement qu’au siècle suivant, en particulier dans les pays d’Europe centrale et du Nord grâce à sa résistance au froid et ses bons rendements. Elle apparaît comme un substitut au blé dans un continent alors marqué par les guerres et les famines.
Au XIXᵉ siècle, la pomme de terre connaît un essor décisif, devenant un aliment de base pour une majeure partie de la population. Cultivée massivement pour sa productivité et sa capacité à nourrir à bas coût, elle s’impose dans les campagnes comme en milieu urbain, en particulier pour la classe ouvrière. Pour les artistes de l'époque, le tubercule incarne alors le travail quotidien, la pauvreté et la vie rurale. Il est le sujet de La récolte des pommes de terre et de L'Angélus de Millet ou encore des Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh.

Un développement plus tardif en France
Le tubercule américain est introduit en France vers la fin du XVIe siècle dans le Dauphiné et en Franche-Comté. L’agronome Oliver de Serres en fait la description dans son ouvrage Théâtre d’agriculture, le nommant « cartoufle », le rapprochant de la truffe, autre plante poussant sous terre. L'origine de l'expression "pomme de terre" est confuse, servant d'abord à désigner les plantes à bulbes.
La papa américaine aurait été perçue avec méfiance par la population, associée au mal et à l’Enfer en raison de sa croissance souterraine et de sa ressemblance avec d’autres plantes toxiques (belladone, datura). Cette vision semble cependant avoir été exagérée par les écrivains des siècles suivants. La faible culture de la pomme de terre serait davantage liée à la mauvaise qualité des premières variétés européennes et des tubercules fades, indigestes ou encore trop chargés en solanine. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour qu’elle connaisse un regain d’intérêt auprès des agronomes et des naturalistes, qui s’interrogent alors sur les moyens de lutte contre la famine.
En 1771, l’Académie de Besançon organise un concours sur le sujet "des substances alimentaires qui pourraient atténuer les calamités d’une disette". Antoine Augustin Parmentier, apothicaire, propose un mémoire où il indique que l’amidon de retrouve dans de nombreuses plantes et notamment la pomme de terre. Il se base sur son expérience de prisonnier durant la guerre de Sept ans, au cours de laquelle il a pu constater les qualités nutritives du tubercule. Après avoir remporté le prix, Parmentier poursuit ses travaux sur le sujet, lui valant une renommée nationale.

Ce rôle "d'inventeur de la pomme de terre" est cependant à nuancer. Au milieu du XVIIIe siècle, la culture et la consommation du tubercule sont déjà bien présentes en France, comme le note l’agronome de Comble dans son ouvrage L'école du jardin potager en 1749 :
"Ce n’est pas seulement le bas peuple & les gens de la campagne qui en vivent dans la plupart de nos Provinces, ce sont même les plus aisées des villes, & je peux avancer de plus par la connoissance que j’en ai, que beaucoup de gens l’aiment par passion"
Par ailleurs, le stratagème de Parmentier de limiter la garde des plants des plaines des Sablons pour inciter au vol et donc à la diffusion des tubercules relève davantage de la légende. Les lettres de l’agronome indiquent plutôt que ce dernier est inquiet et que les larcins nuisent à ses expériences.
Comme dans le reste de l’Europe, la production et la consommation de pomme de terre se développe au XIXe siècle. De nouvelles variétés sont créées par sélection, plus adaptées aux environnements européens et possédants des tubercules à forme plus régulière. Elle gagne sa place sur les tables des ouvriers comme sur celles des bourgeois et des grands restaurants.

Pour aller plus loin
- Petite et grande histoire des légumes / Eric Birlouez. Versailles : Éditions Quae, 2020
- Histoire des légumes / par Georges Gibault. Paris : Librairie horticole, 1912
- Histoire de légumes : des origines à l'orée du XXIe siècle / Michel Pitrat, Claude Foury (coord.). Versailles : Éditons Quae, 2003
- Histoire de la pomme de terre : traitée aux points de vue historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire / Ernest Roze. Paris : J. Rothschild, 1898
- Graph'agri 2024 : agriculture, forêt, pêche, alimentation, industries agroalimentaires, environnement, territoire / Agreste ; Vincent Marcus (dir.). Paris : Ministère de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt, 2024