L'asperge

Si le haricot est considéré par certains auteurs comme désagréable et la carotte vulgaire, l’asperge, véritable hirondelle du printemps, serait à la fois le plus aristocratique, le plus agréable, le plus vertueux des légumes.

Origine

L’asperge sauvage est originaire d’Asie mineure et des steppes d’Europe de l’Est. 

Carte d'Asie mineure
Tabula nova Asiae minoris / Ptolémée. 1541

Dans la Grèce ancienne et en Egypte, l’asperge sauvage à la saveur délicate et aux multiples propriétés médicinales fait l’objet de cueillette. Les Egyptiens l’offrent à leurs divinités. Recherchée par les Romains, « prodige de la gastronomie » selon Pline, elle est cultivée avec grand soin au IIe siècle avant JC dans le bassin méditerranéen. 
Si au Moyen-Age, on perd sa trace, sa production est relancée en Europe, au XVe siècle dans les vallées du Rhin et de l'Escaut. Sa culture s’étend progressivement à la France.

Description

L’asperge cultivée est issue d’Asparagus officinalis L. Elle aime les climats tempérés, les expositions ensoleillées, les sols légers et bien drainés. Georges Gibault dans Histoire des légumes précise que d’autres espèces existent, aux turions grêles et moins savoureux : Aspargus acutifolius (asperge à feuilles piquantes) et Asparagus verticillatus (asperge verticillée).

Le nom de l'Asperge vient des Grecs. Théophraste parle d'une plante nommée Asparagos d'où est venu le latin Asparagus et le français Asperge.  Pline rapporte une croyance étonnante : la corne de bélier, concassée et mise en terre, engendrerait des asperges

Asparagus officinalis
[Asparagus officinalis]. S. d.

Plante herbacée vivace, dioïque, de la famille des Asparagacées, elle est composée de rhizomes souterrains, la griffe, qui produisent les turions, la partie consommée. D'année en année, elle assure la survie de la plante et la future récolte.

Griffe d'asperge de 7 ans
Griffe d'asperge. 7e année de végétation. Dans : Les plantes potagères / Vilmorin-Andrieux et Cie. 1891

Ceux-ci sortent au printemps, les tiges pouvant atteindre 1,50 mètres. La couleur de la robe dépend de son exposition à la lumière. L’asperge blanche est maintenue dans l’obscurité. L’asperge violette a une tête légèrement dégagée en fin de culture. L’asperge verte pousse à l’air libre.

Le légume ne possède pas de feuilles mais des cladodes, courts rameaux assurant la nutrition et l'assimilation chlorophyllienne. 

Asperges cultivée et sauvage
Histoire generale des plantes. Tome 1 / Jacques Dalechamps. Lyon, chez Philip. Borde, Laur. Arnaud, & Cl. Rigaud. 1653

Ses petites fleurs pendantes donnent des baies sphériques vermillon. Les graines noires conservent leur qualité germinative pendant cinq ans au moins.

Graines d'asperge
Elemens de botanique / Mr Pitton Tournefort. Paris, de l'Imprimerie royale. 1694

 


Variétés

Bien que cultivée depuis plusieurs dizaines de siècles, l'asperge évolue peu. La petite asperge commune, peu éloignée de l’état sauvage comme l’asperge verte d’Aubervilliers, est progressivement supplantée par la grosse asperge violette de Hollande introduite en France au début du XVIIIe siècle. Si les variétés d’asperge semblent nombreuses, chaque localité qui la cultive donne son nom à la plante : asperges d'Allemagne, de Pologne, d'Ulm...

Les écrits sur l’asperge ne sont pas dénués d’humour et exposent parfois des « hâtives » originales qui « se haussent à qui mieux mieux pour voir lever l’aurore […] »

Asperge hâtive. Dessin humoristique représentant une personne longue et fine
L'empire des légumes / recueillis par MM. Nus et Méray ; dessins par A. Varin. 1851

Au XIXe, plusieurs villages autour de Paris, Aubervilliers, Bezons, Sannois, Epinay se spécialisent dans cette production. L’histoire de l’asperge d’Argenteuil est remarquable. C’est vers 1810 que l’on commence à la cultiver sur la commune. Plusieurs  asparagiculteurs, Les Lhérault, Dingremont créent à partir de sélections massales des semis d’asperges de Hollande.

Portrait de Louis Lhérault, asparagiculteur
Le Panthéon de l'industrie. 1889 

« L'Asperge rose hâtive d'Argenteuil, voisine de la race de Hollande, mais supérieure en poids et plus précoce de dix jours, est une obtention des cultivateurs de ce village dont elle a fait la fortune. »

Comparaison de deux asperges
La Nature. Masson (Paris), 1875-07-10

Vilmorin affirme même que l’expérience des cultivateurs d’Argenteuil et d’autres localités des environs de Paris, a porté la culture de l'asperge à un degré de perfection inconnu jusque-là

Représentation d'asperges hâtives d'Argenteuil
Le Jardin potager / L.-J. Troncet. Larousse (Paris), 1907

 

Culture

Dans son traité De re rustica, Caton décrit la culture de l’asperge avec précision. 

Page de Une de l'ouvrage de Caton De re rustica
Libri de Re rustica, M. Catonis lib. I. M. Varronis. 1543

Il conseille d’aménager des bandes espacées afin d’éviter tout piétinement et faciliter l’entretien. Le semi s’effectue à raison de 2-3 semences par trou. A l'équinoxe du printemps, on éparpille du fumier en surface. Les préconisations de Caton sont toujours d’actualité pour assurer le bon développement des plants et pour la beauté du produit.

En pépinière, les griffes sont déterrées et mises en place de février à mars.  L’opération est minutieuse. Des fosses sont creusées, fumées puis tapissées de « bonne terre ». Au cours de la troisième année, s’opère le buttage, un travail important.

Les monticules de terre protègent l’asperge du soleil et favorisent l’allongement des turions. 

La récolte des asperges. Photo en noir et blanc
Culture des asperges / Agence Rol. 1928 

Les griffes ne produisant des turions qu’au bout de trois ans, il faut alors s’armer de patience. 

« Une plantation bien faite et bien soignée peut rester productive pendant dix ans et plus ».

Dans les années 1835, une autre méthode est testée à Argenteuil : les griffes sont enterrées moins profondément pour bénéficier de la présence de l’air et de l’épandage d’engrais de surface. Cela permettra aussi l’introduction de l’asperge en grande culture. En 1820, Argenteuil en produit 5 000. En 1867, ce chiffre s’élève à 400 000.  

L’asperge est une plante vorace et épuisante.  La culture dite forcée est ancienne. Olivier de Serres, dans Théâtre d'agriculture et mesnage des champs (1600) écrit :

« Tout d’une main, on y met le fumier & chaque an, on les refume en les cultivant, pour le besoin qu’elles ont d’engraissement. » 

Si la période pour récolter l’asperge se situe d’avril à juin, grâce à la technique du réchauffement de La Quintinie, Louis XIV peut déguster des asperges même en hiver !

Au XIXe siècle, le forçage de la culture par la pose de cadres est toujours considérée comme efficace. Sur les planches d’asperges, on pose un cadre en bois sur lequel s’ajustent des châssis vitrés. Avant l’arrivée des premiers froids, on remplit le cadre de fumier qui réchauffera le sol. Les châssis installés sont relevés quelques heures par jour pour maintenir une température idéale.

En 1910, Vernier, professeur d'Agriculture, recommande une formule expérimentée avec succès, riche en phosphore, potasse, nitrate

Parasites et maladies

Les vers blancs, les courtilières causent des dégâts importants aux griffes. Quant aux turions, ils sont attaqués par les criocères de l’asperge provoquant une défoliation. Secouer les parties attaquées suffit parfois à s’en débarrasser. Une autre méthode consiste à pulvériser une solution à base de pyrèthre. Contre la mouche de l’asperge ou de la chenille à fourreau, des interventions mécaniques sont efficaces. Un traitement chimique peut s’avérer nécessaire si l’infestation est importante.

Criocères, ennemis de l'asperge
Le Jardin potager / L.-J. Troncet. Larousse (Paris), 1907

 

Les maladies cryptogamiques les plus courantes sont occasionnées par le rhizoctone violet, une application de sulfure de carbone ou l’arrachage des plants donne de bons résultats ; la fusariose de l’asperge peut être jugulée par la rotation culturale ; contre la stemphyliose et  la rouille, un traitement à base de soufre est souvent fructueux.

Bienfaits

L’asperge contient un grand nombre de vitamines A, B, C, K, d'acides aminés et d'oligo-éléments et est riche en phosphore, manganèse. Ainsi, elle a une action favorable sur la coagulation sanguine et diminue le risque cardiovasculaire.  Riche en asparagine, elle présente un effet diurétique

Selon Pline, les asperges sont bénéfiques pour l’estomac et le côlon. Les graines soignent les douleurs lombaires et rénales et leur suc les morsures de serpents. Selon Madame de Maintenon, « l’asperge invite à l’Amour » (Saveurs de France / Jacques-Louis Delpal. 1989)

Dans les arts

Le secret de la cuisson de l’asperge, bien connu des romains, doit être rapide, afin de garder toute sa saveur. Auguste prononcerait même souvent le proverbe : « Velocius quam asparagi coquantur », les affaires devant aller encore plus vite que la cuisson de l'asperge. 

L'art culinaire se montre inventif. Jusqu’au début du XIXème siècle, seuls les amateurs fortunés pouvaient s’offrir ce légume raffiné et fort cher. 

Illustration de la chansonnette intitulée "Les asperges"
Les asperges : chansonnette / paroles de Villemer-Delormel ; musique de L. Collin. L. Bathlot (Paris), 1881 

« L’impératrice des légumes » se démocratise grâce au développement des cultures en région parisienne, dans le Val de Loire dans les années 1870, avant la conquête d’autres régions. 

Les recettes sont nombreuses : asperges au naturel, au gratin, à la Pompadour, velouté, sirop de pointes d'asperges, glace

Photo illustrant la recette des tourteaux aux pointes d'asperges
Tourteaux et pointes d'asperges / Bernard Vaussion. 2007-2012

 

Fontenelle, Voltaire, Grimod, tous adorent l’asperge.  

Asperges et radis, une estampe de Jean Emile Laboureur datant de 1928
Asperges et radis : [estampe] / Jean Emile Laboureur. 1928

Elle est à l’honneur dans plusieurs chansons populaires dont L’hymne à l’asperge créé en 1931 par le chansonnier Stello. La vie parisienne le déconseille cependant aux mères des jeunes filles.

Laissons Proust, qui l’évoque dans Du coté de chez Swann, conclure :

« mon ravissement était devant les asperges, trempées d'outremer et de rose et dont l'épi, finement pignoché de mauve et d'azur, se dégrade insensiblement jusqu'au pied, […] »